Les Gens de Saint Démet, patrimoine communal ?

Plozévet oubliée

Bien qu’à l’époque une des fonctions de ces films était de favoriser le contact avec les Plozévétiens, Les Gens de Saint Démet ne furent pourtant plus projetés à Plozévet (et d’une façon plus large, même en Bretagne) après la séance qui avait soulevé pas mal de critiques. Une telle relégation témoigne de l’oubli dans lequel est tombé l’ensemble des enquêtes pendant de nombreuses années,  si l’on excepte la mémoire tenace des remous qu’avait suscités la publication du livre d’Edgar Morin, Commune en France, La métamorphose de Plodémet1.

De fait, pendant plus de trente ans, Plozévet a disparu de l’horizon de la recherche. Si Commune en France est étudiée comme un classique de la littérature sociologique, rares, très rares sont les références dans les articles scientifiques à cet ouvrage ou à celui d’André Burguière. Pendant plus de trente ans, le terrain plozévétien a été déserté. Aucun enseignant ou étudiant des universités bretonnes n’a projeté de reprendre le chemin du pays bigouden. Et, si certains chercheurs d’alors y ont fait quelquefois escale, c’est en touristes ou en visites amicales. Edgar Morin n’osa plus y apparaître, préférant la petite station voisine de Penhors pour faire, malgré tout, un petit pèlerinage.

En engageant la grande action concertée de Plozévet, ses concepteurs, promoteurs, organisateurs, financeurs n’avaient certainement pas imaginé les implications de cette enquête de terrain inédite tant par le nombre des chercheurs concernés que par celui des disciplines invitées. Sans véritable réflexion sur le rapport au terrain, sur les relations enquêteurs/enquêtés, la clause de distanciation n’en constituant pas une solution adaptée, l’aventure a donc pâti de l’inexpérience des uns et des autres. N’ayant été l’objet d’aucune confrontation finale, les chercheurs se sont dispersés sans qu’un bilan global de l’entreprise est été tiré, la synthèse d’André Burguière en tenant lieu. Et les bruits qui ont accompagné sa fin confuse ont justifié une organisation totalement différente des recherches coopératives suivantes, principalement les deux recherches coopératives sur programme de l’Aubrac, et du Châtillonnais2.

Les Gens de Saint-Démet sur le retour

Pour ce qui est des films, pendant plus de vingt ans Les Gens de Saint-Démet restèrent des films d’ethnographes à usage d’ethnographes. Un temps durant lequel, avec le déclin puis de la disparition des gestes qu’ils avaient immortalisés, ils vont acquérir une valeur patrimoniale. Cette fortune n’échappa pas à plusieurs organismes bretons chargés de la valorisation patrimoniale. D’abord, les musées : en 1986, le Musée de Bretagne de Rennes faisait faire à ses frais une copie 16 mm, tant des films montés que des rushes et obtenait l’autorisation de les diffuser, mais uniquement dans ses locaux. De son côté, le Musée départemental breton de Quimper, aurait, lui aussi, souhaiter en disposer. Mais le Musée de l’Homme, qui était propriétaire des droits, le renvoya sur le Musée de Bretagne rennais. En second lieu, la Cinémathèque de Bretagne, association sous régime de la loi 1901 créée en 1986 pour collecter (et restaurer), conserver et diffuser le patrimoine audiovisuel breton, amateur et professionnel enclencha, elle aussi, des démarches pour en avoir copie. Effectuant une mission de service public, s’étant dotée des équipements techniques nécessaires et d’un personnel qualifié, la Cinémathèque de Bretagne se voyait bien valoriser ces films au niveau régional. Mais, là encore, on la renvoya sur le Musée de Bretagne…

Dans ce contexte, les Plozévétiens souhaitant visionner ces films devaient se rendre à Rennes, si tant est qu’ils eussent connus l’existence de ce dépôt. Une situation assez paradoxale pour ceux qui s’étaient prêtés gracieusement aux desiderata des cinéastes. Une découverte que certains d’entre eux firent en 1986, lorsque sous l’impulsion du conservateur du Musée départemental brreton de Quimper , Les Gens de Saint-Démet furent projetés dans cette ville. À cette occasion certains Plozévétiens se rendirent à Quimper, découvrant sur le tard la version définitive des films, retrouvantscènes et lieux où ils apparaissaient ainsi que des personnes disparues . D’où le voeu formulé par certaines familles de disposer de ces images sous forme de cassettes VHS.

Après cinq années de négociations, la persévérance de Jean-Claude Stourm devait aboutir en 1991 à la publication d’une première édition de cassettes. Mais avec une restriction : cette diffusion érait exclusivent réservée aux seuls Plozévétiens, mairie, associations, groupements paroissiaux. Très rapidement épuisée, une nouvelle parution en 1996 se répandit largement dans la commune. Désormais, les films du Musée de l’Homme entrent dans la vidéothèque de tout Plozévétien, une notoriété qui s’étend à la parentèle exilée, parfois jusqu’aux touristes, ls cassette étant copiées et recopiées jusqu’à perdre leur qualité.

Aujourd’hui, plus de crainte d’une image dévalorisante : les films de Robert et de Monique Gessain sont entrés dans le patrimoine culturel de la commune. Une adoption qui témoigne d’un changement profond du regard. Car, si c’est avec une distance amusée que l’on peut renouer avec certaines critiques des années soixante, la sensibilité se porte beaucoup plus vers le vivant souvenir des personnes disparues, des pratiques d’alors, et des paysages détruits par le remembrement et l’urbanisation de la côte. Et pour les plus jeunes, c’est la découverte de gestes d’antan.

Le tournant de 1999 : Retour à Plozévet, film d’Ariel Nathan

Diffusé en 1999, le documentaire d’Ariel Nathan, Retour à Plozévet, marque un tournant. Le réalisateur, retrouvant les archives filmiques qui servent de fil conducteur, interroge le rapport enquêteur/enquêté. Venu lui-même enquêter à Plozévet, il questionne des témoins des années soixante, filmés alors ou pas. Avec eux il évoque les scènes controversées, l’histoire du comité des jeunes, les références à l’alcool, etc. Et bien sûr, l’affaire Morin, qu’il introduite par des extraits de l’émission de télévision Plozévet contre Plodémet diffusée en mars 1968 qui avait éreinté le livre d’Edgar Morin. Resituant cet ensemble dans un tableau général des enquêtes, le film d’Ariel Nathan apparaît comme la première véritable introduction à l’histoire de cette aventure, une revue qui lui donne une audience nationale en même temps qu’elle ravive la mémoire des Plozévétiens.

Retrouvant ainsi les chemins de la renommée, Plozévet va par la suite renouer avec le monde de la recherche. Un processus en plusieurs étape qui démarre avec le choix fait par la Mission interministérielle pour la célébration du centenaire de la loi de 1901 relative au contrat d’association. Les organisateurs retiennent Plozévet pour sa première manifestation publique en région sur “Associations en milieu rural” (21 octobre 2000), imaginant, à tort, que le contact n’avait jamais été rompu entre les chercheurs et les Plozévétiens. À cette occasion, le film d’Ariel Nathan est projeté aux participants du colloque se tenant à Quimper. Puis, c’est le tour du CNRS de redonner ses lettres de noblesse à Plozévet, en organisant à l’automne 2002 les Rencontres régionales CNRS « Sciences et Citoyens » (voir : Rencontres régionales CNRS-Jeunes « Sciences et Citoyens », un peu d’histoire).

Les Gens de Saint Démet sur grand écran

À cette occasion un des film, « Le Bourg » est projeté sous un format Béta SP, une qualité d’images qui les rend encore plus vivantes aux yeux de beaucoup de Plozévétiens. Depuis, les films ayant été numérisées par les soins de la Cinémathèque de Bretagne, dans le cadre de Plozarch nous nous sommes donnés pour tâche de projeter l’ensemble de la série. Des projections (en collaboration avec le Musée de Bretagne et la Cinémathèque de Bretagne) qui, depuis que nous nous y sommes attelées rencontrent un vif succès. Désormais, les Plozévétiens ont plaisir à voir et revoir ces scènes du passé, certains s’y retrouvant lorsqu’ils étaient enfants ou jeunes, d’autres se rappelant l’image vivante de personnes décédées. Les Gens de Saint-Démet sont ainsi devenus une sorte de mémorial communal, le « livre d’images de la commune » comme dit un Plozévétien, une sorte de célébration de l’identité plozévétienne ancrée dans le passé.

Et les DVD ?

La perte de qualité des cassettes VHS, la découverte de celle des versions numérisées ont fait naître chez les Plozévétiens une nouvelle demande : la diffusion des films sous forme de DVD. Une production qui se heurte à un double problème juridique, en premier lieu de droit de diffusion et surtout celui de commercialisation des films sur Plozévet dont ne dispose  aucune institution bretonne…

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Rendez-vous au septième épisode de ce feuilleton de l’été…

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