Projection privée des films La cueillette du bein-youd et Le brûlage du goémon aux personnes filmées (janvier 2011)
Vers une nouvelle filmographie…
Dans les sciences humaines, au moment des enquêtes de Pozévet, la pratique du film était réservée, soit à des professionnels auxquels les institutions faisaient appel pour des besoin spécifiques, soit à quelques chercheurs qui, quelque peu initiés aux techniques cinématographiques, filmaient leur travail de terrain1. Et, comme nous l’avons signalé dans un billet précédent, il s’agissait essentiellement d’ethnologues, qui plus est, d’ethnologues travaillant sur un terrain exotique. Cette antériorité de l’intérêt pour l’image animée des chercheurs en ethnologie par rapport à ceux d’autres disciplines, notamment en sociologie, plonge ses racines dans l’avant guerre. Mais, il est plus directement à mettre en rappport avec la création du Comité international du film ethnographique en 1953 et l’initiation aux techniques audiovisuelles dispensée par le Centre de formation aux recherches ethnologiques. En sociologie, il faut attendre 1966 pour que se crée au Centre d’études sociologiques une « section audiovisuelle ». Sous la direction de Pierre Naville, elle regroupait alors onze chercheurs qui recurent une formation aux techniques audiovisuelles, assurée notamment par Jean Rouch et Roger Morillère. Mais, cette cellule n’a pas survécu à la disparition du Centre d’études sociologiques. Dès lors, les sociologues intéressés par le cinéma de recherche ne purent le faire qu’à titre individuel. Une pratique difficilement abordable par un chercheur avant l’apparition de la vidéo et surtout du numérique. Ces avènements, respectivement fin des années soixante et fin des années quatre-vingt§-dix vont profondément changer la donne. La baisse des coûts, la mise au point de logiciels de montage auxquels un individu peut assez facilement se former vont populariser la pratique cinématographique de recherche. Dès lors, les initiatives vont se multiplier tant à l’Université qu’au CNRS. À partir des années quatre-vingt, des formations aux techniques audiovisuelles et à l’anthropologie visuelle furent organisées dans différentes facultés, la section de sociologie du CNRS se dotant d’une cellule de post-production, adossée au Centre Edgar Morin, au début des années 2000. Cette survenance a eu aussi pour conséquence de rendre envisageable la réalisation d’une nouvelle filmographie sur Plozévet dans le cadre du programme Plozarch. Deux idées nous ont alors guidé.
Plozarch et la réalisation de montages vidéos originaux
Retours “caméra” en écho avec ce qui avait été filmé dans les années soixante
La première était de faire écho à ce qui avait été filmé dans les années soixante ; donc de comparer deux situations historiques. Raison pour laquelle nous avons repris certains thèmes illustrés dans Les Gens de Saint-Démet. Reprenant le chemin des cinéastes des années soixante, nous refilmons les mêmes lieux, des scènes semblables, avec l’objectif de constituer une nouvelle base de données susceptible d’être, elle aussi dans l’avenir, une base comparative.
À ce niveau se posent pour nous plusieurs problèmes liés aux évolutions techniques qu’a connues l’art de filmer depuis les années soixante. L’apparition de la caméra légère au son synchrone, puis de la vidéo, et enfin du numérique ont considérablement bouleversé les conditions de tournage. Et, désormais, le chercheur peut, à moindres frais, être, à la fois, cadreur, monteur, réalisateur. Voire producteur, dans la mesure où, autofinançant ses films de recherche et s’exnonérant ainsi des standards de la télévision, il peut prétendre garder une assez grande maîtrise du processus de fabrication de son film. Ce qui exige de lui, bien sûr, une bonne maîtrise technique de ses différents stades. Mais, la liberté que lui confère le numérique risque de le confronter à une plétore de moments filmés. Une richesse qui n’a rien à voir avec la sobriété à laquelle était tenue les réalisateurs des années soixante, ceux-ci étant limités par leur budget et par la rigueur exigée par le montage linéaire et destructif2. Ce qui se répercutait sur la façon de filmer, la part laissée à l’improvisation étant quasi nulle. D’où la nécessité de faire des choix préalables et de mettre au point des plans de tournage.
Les bouleversements apportés par le numérique impliquent de nouvelles exigences. La liberté de tournage et celle de montage nécessitent de faire en permanence des choix à tous les stades. Pas seulement sur des points techniques (pourquoi telle scène, pourquoi telle image, pourquoi tel son ?), mais sur l’organisation du discours filmique lui-même, tant on sait que c’est de l’agencement des scènes que naît le sens. De mêmes rushes pouvant induire des discours différents, pour notre part lorsque nous refilmons à Plozévet, nous sommes contraints par le choix préalable de comparaison entre la situation actuelle et celle des années soixante. Ainsi, lors du tournage de la journée du brûlage du goémon, suivant ce qui avait été filmé dans les années soixante, la priorité a été donnée aux gestes techniques, la partie festive ne tenant qu’une place d’ambiance. Ce qui se traduit pas seulement par une perte d’information, mais peut-être surtout par une sousestimation du sens patrimonial du renouvellement de cette geste. De même, en reprenant le pas des cinéastes des années soixante, nous risquons de donner une part plus importante à certaines scènes devenue pourtant résiduelles, au détriment du paysage social contemporain. Au risque de faire taxer ces montages d’être quelque peu passéistes, comme ceux des années soixante. Notre option d’actualiser des scènes du passé fausse donc la scénographie plozévétienne actuelle, tout en limitant notre créativité. Il faudrait disposer de beaucoup plus de temps pour transgresser cette contrainte et, ainsi, rester plus fidèle à la réalité d’aujourd’hui. Une démarche qu’il nous sera peut-être donné de suivre si… Oui, il y beaucoup de Si, dont le premier serait de poursuivre le programme Plozarch au-delà de ce qui avait été prévu et financé à l’origine !
Des “caméras citoyennes”
Notre second objectif était de doter des groupes de Plozévétiens en petits camescopes, afin qu’ils réalisassent par eux-mêmes des reportages sur la commune. Reprenant cette idée formulée par Edgar Morin lors de son enquête, nous l’avons conçue en l’assortissant d’un programme de formation, car, même avec le numérique, on ne s’improvise pas cinéaste. Raison pour laquelle nous avions demandé à la Mairie de doter Plozarch en petits camescopes, voeu auquel elle a accédé en achetant de petits camescopes numériques d’occasion qui, n’étant pas en format “haute définition” mais pourtant de très bonne qualité, sont trouvés à très bons prix. Nos première séances ont connu un assez grand succès, une quinzaine de personnes s’étant inscrites. La suite a été moins prometteuse au fur et à mesure que celles-ci se sont rendues compte que la pratique vidéographique était très dévoreuse en temps, même et peut-être surtout lors de l’apprentissage. Avant d’acquérir les réflexes de base, il faut filmer et refilmer. Et procéder à des montages, ceux-ci ayant, dans un premier temps, comme but essentiel de corriger ses erreurs. Il faut se mettre dans différentes situations, en extérieur comme à l’intérieur, et s’exercer à l’entretien ou à prendre sur le vif des conversations, des scènes de rue, etc. Bref, il faut s’astreindre à suivre un apprentissage assez rigoureux. De telles exigences ont malheureusement eu le don de décourager pas mal de nos stagiaires qui, pris par de multiples obligations, n’ont pas pu dégager le temps nécessaire. Aussi, à l’heure actuelle, ces “caméras citoyennes” sont-elles pratiquement au point mort.
Relance du projet “caméras citoyennes”
Nous comptons relancer ce projet au cours de l’année 2011-2012. Les personnes intéressées pourront s’inscrire au stand de Plozarch lors du Forum des associations, le 3 septembre 2011. Avis aux amateurs, à qui nous présenterons un petit plan de formation. Qu’ils n’hésitent pas à venir nous voir.
Les réalisations de Plozarch
La récolte du bein-youd. Plozarch suit la journée d’un Plozévétien récoltant le Chondrus cripus. Vidéo, 10 mm. Images et sons : Christine Enfrin, Bernard Paillard, Laure Welschen. Montage : Bernard Paillard. Réalisation de Plozarch, 2010.
Les fumées de Prat Meur. Plozarch suit la journée de brûlage du goémon sur le rivage de Prat Meur.Vidéo 30 mm. Images : Bernard Paillard. Sons : Christine Enfrin, Bernard Paillard, Laure Welschen. Montage : Bernard Paillard. Réalisation de Plozarch, 2010.
Le kouign de Scantourec. Plozarch filme la journée de fabrication du “koiugn des gras” dans la boulangerie de Scantourec. Vidéo 15 mm. Images et sons : Gilles Aubry, Laure Welschen. Montage : Bernard Paillard. Réalisation de Plozarch, 2011
L’atelier scientifique à Beig Meil : la découverte du plancton. Dans le cadre de l’atelier scientifique organisé par Sylvie Gauthier, professeure en SVT du collège Henri Le Maol de Plozévet, vidéo retraçant la sortie sur le site d’Agrocampus à Beig Meil et la découverte du plancton avec l’association “Cap vers la nature”. Vidéo 30 mm. Images et sons : Bernard Paillard et des élèves de l’atelier. Montage Bernard Paillard. Réalisation de Plozarch, 2011
L’atelier scientifique à la Station biologique de Roscoff : la découverte des algues et des phycocolloïdes. Dans le cadre de l’atelier scientifique organisé par Sylvie Gauthier, professeure en SVT du collège Henri Le Maol de Plozévet, vidéo retraçant la sortie à la Station biologique de Roscoff avec la découverte des algues et des phycocolloïdes. Vidéo 30 mm. Images et sons : Bernard Paillard et des élèves de l’atelier. Montage Bernard Paillard. Réalisation de Plozarch, 2011.
La kermesse 2011. Plozarch filme en 2011, ce qui avait été filmé pour le film Au bourg, à savoir la grande kermesse de l’école Georges Le Bail, avec son défilé et ses stands. En cours de montage.
Par ailleurs, plusieurs petits clips ont été tournés pour illustrer certains billets de ce carnet.
Le travail filmographique de Plozarch a été présenté à l’occasion de divers colloques dont ce carnet a rendu compte.
Bernard Paillard
1 La production cinématographique de l’action concertée de Plozévet illustre le fait : d’un côté, Les Gens de Saint-Démet faisant appel à une équipe de cinéastes, de l’autre, Goulien, le retour, de Christian Pelras, filmé par lui-même avec sa petite caméra super 8. À ce propos, il convient de noter que ce recours à un équipement personnel du chercheur traduit la place très secondaire dans laquelle les organismes de recherche tenaient les productions audiovisuelles. La rareté en équipements collectifs condamnait celui qui trouvait quelqu’intérêt à l’image animée à se doter de son propre matériel. D’ailleurs, c’est aussi avec son propre magnétophone Nagra que Donatien Laurent a enregistré les éléments de culture populaire bretonne à Plozévet et ailleurs. Et, je crois me souvenir que, parmi les magnétophnes que l’équipe d’Edgar Morin utilisaient, l’un appartenait au Centre de recherches sociologique, tandis qu’un autre avait été prêté par un ami à Edgar Morin. Les crédits affectés à cette étude étaient insuffisants pour acquérir un matériel spécifique. Aussi, c’est presqu’en contrebande que furent enregistrées les quelques 300 heures d’entretiens, archives orales dont ont apprécie aujourd’hui la valeur. Depuis, la situation a-t-elle évoluée ? Oui sans doute. Cependant, rares sont les centres de recherches en sciences humaines ayant acquis un matériel audiovisuel collectif. Si je me réfère à mon expérience, à la fin des années soixante, le centre auquel j’étais affecté, le Centre d’études des communications de masse (CECMAS) s’était doté d’un magnétophone de la marque Uher (qui fut volé dans les années quatre-vingt, et non remplacé), un équipement très insuffiant qui m’obligea à faire l’acquisition du mien propre, appareil photographique inclus. Et, ce n’est qu’en 2002 que le même laboratoire acheta un camescope (qui fut aussi volé, mais remplacé…), alors que je disposais déjà d’un tel appareil. Si ce sous-équipement témoigne de la place secondaire de l’audiovisuel, il est aussi redevable à une certaine politique publique en matière d’équipement des centres de recherche : aux yeux des autorités administratives il est plus facile de justifier d’un achat en bureautique qu’en audiovisuel. Par ailleurs, la baisse des coûts des matériels d’enregistrement (magnétophone à mini cassette), le financement de recherche sur des contrats, que le chercheur faisait gérer par des associations aux règles financières moins tatillonnes, ont permis à beaucoup de chercheurs d’acquérir du matériel pour leur recherche propre. Maintenant, les règles étant plus souples, il est plus facile pour un centre de recherche de financer de telles acquisitions.
2 Les logiciels de montage vidéo ont profondément bouleversé la pratique du montage. Lorsque le monteur travaillait à partir de pellicules argentiques, son travail consistair à couper et à coller la pellicule sur un banc de montage. Une fois celle-ci coupée, il était impossible de revenir en arrière, d’où le nom de montage destructif. Puis, les scènes étaient collées les unes après les autres, de façon linéaire, d’où le nom de montage linéaire. Un tel procédé ne permettait aucun repentir. Ce qui n’est pas le cas avec le numérique qui donne accès aux fichiers numériques que l’on peut couper et assembler de manière vurtuelle.
Copyright, Bernard Paillard, Plozarch, Carnets, Plozévet en quête d’enquêtes, http://plozevet.hypothèses.org, Les Gens de Saint-Démet/7. Tous droits réservés.
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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Bernard Paillard (29 juillet 2011). Les gens de Saint-Démet/7. Plozarch. Consulté le 14 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/sw9x